Rapport d’activités 2021

Extrait du bulletin de la SAAST 2021

PROSPECTION-INVENTAIRE

Les prospections ont profité de très bonnes conditions de visibilité à la suite des abondantes pluies du mois de mai. Des parcelles nouvellement accessibles aux investigations de terrain et des sites connus mais encore mal datés ont fourni un mobilier abondant permettant notamment de documenter et de mieux comprendre les débuts de la néolithisation du Tournugeois.

Notre secteur d’investigation a été scindé en deux parties situées de part et d’autre de la ligne de crêtes suivie par le chemin des Moines. Grégory Compagnon s’est chargé plus spécialement de la moitié ouest de la zone, la partie orientale incombant à Jean Duriaud.

Prospections dans la vallée de la Saône et l’est du Tournugeois

Préhistoire

Le passage de l’homme de Néandertal en Tournugeois est attesté par de nombreuses découvertes isolées mais, jusqu’à maintenant, très peu de sites suggérant des haltes prolongées ont été repérés. La reconnaissance cette année d’un nouveau point recelant une concentration d’outils caractéristiques du Paléolithique moyen est donc particulièrement intéressante à signaler. Sur la commune de Vers, deux nucléus Levallois ont été ramassés, associés à des racloirs aménagés sur des supports peu épais (fig. 1). La fraîcheur du mobilier est plutôt un indice en faveur de l’écrêtage récent par les labours d’un niveau archéologique jusqu’alors épargné par le soc.

Racloirs du Paléolithique moyen trouvés à VersFig. 1 – Les racloirs du Paléolithique moyen trouvés à Vers

Le Mésolithique qui voit évoluer les derniers chasseurs-cueilleurs ne bénéficie encore que de données lacunaires. Mieux connue aux abords de la Saône, son implantation dans le secteur collinaire reste difficile à préciser. Il semble bien toutefois que le mobilier lithique recueilli aux confins des communes de Péronne, Lugny et Burgy puisse être attribué à cette période. Ce point haut couronné par le chaos gréseux dit de la Grosse Roche aurait attiré les Mésolithiques pour des raisons sans doute en rapport avec la particularité géomorphologique des lieux.

Les éminences sableuses de la rive droite de la Saône ont accueilli les premiers agriculteurs venus du sud de notre pays. Leur industrie lithique met en œuvre des matériaux étrangers aux gîtes les plus proches et affiche une composante lamellaire très marquée. Les armatures de flèches sont des tranchantes de petites dimensions ou des perçantes plutôt archaïques. Le ramassage effectué sur la station de Sous Boulay à Farges est venu conforter ces hypothèses.

Dans les sites implantés entre la Saône et le pied des premières collines, la part du silex du Mâconnais diminue alors que lames et lamelles se raréfient. Les armatures tranchantes deviennent nettement majoritaires. Le secteur collinaire densément occupé dès la fin de la première moitié du cinquième millénaire avant notre ère exploite quasi exclusivement le silex local et ignore pour ainsi dire les flèches perçantes. Parmi les parcelles prospectées pour la première fois et qui ont livré des silex taillés néolithiques, les plus intéressantes sont localisées aux lieux-dits la Beulonne à Mancey, En Manan, aux Guyernes et le Fourneau à Plottes, la Vie des Fourches à Uchizy et la Quessarde à Farges.

Hachette polie en roche alpine (jadéite ?) trouvée à PlottesFig. 2 – Hachette polie en roche alpine (jadéite ?) trouvée En Manan à Plottes

Gallo-romain

Deux nouveaux emplacements occupés au cours de la période romaine ont été reconnus aux lieux-dits En Manan sur la commune de Plottes et Laveau sur Chardonnay.

Moyen Âge

Sur les hauteurs de Royer, nous avons ramassé un bloc calcaire subsphérique, manifestement taillé, d’un diamètre de 16 cm pour un poids de 5,2 kg (fig. 3).

Jean-Denis Lafitte, castellologue, ingénieur de recherche à l’INRAP, nous a confirmé qu’il s’agissait bien d’une ébauche de boulet ou d’un projectile de baliste antique ou médiévale (catapulte).

Projectile médiéval découvert à RoyerFig 3 – Projectile sphérique récolté sur les hauteurs de Royer

Nous avons été amenés à supprimer le témoin laissé en place contre les fondations de la chapelle Saint-Aubin dont l’existence a été révélée à l’occasion de la fouille d’une sépulture mérovingienne dans une cave d’Etrigny (rapport PI 2017, fiche A4). Une très étroite fenêtre a ainsi été ouverte sur la base du mur gouttereau sud : ses fondations comportent trois assises de pierres dont les deux rangées supérieures sont disposées en arêtes de poisson. La datation de l’édifice supposée autour de l’an mil devra encore être confrontée à l’analyse 14C de charbons issus du mortier de chaux liant les pierres du mur.

Collection Bruno Voituret

En travaillant dans les vignes, Bruno Voituret a ramassé des vestiges archéologiques qu’il a localisés précisément ou simplement regroupés par lieu-dit. Il a remis au GRAT une partie de sa collection issue des communes de Montbellet, Saint-Gengoux-de-Scissé, Bissy-la-Mâconnaise et Cruzille.

 Le mobilier rassemblé montre que ce territoire a été occupé dès le Paléolithique moyen.

Le Néolithique est particulièrement bien représenté avec notamment 36 pointes de flèches (fig. 4). Les pointes foliacées associées à des armatures tranchantes de très petites dimensions illustrent un Néolithique moyen sans doute précoce alors que les pointes à pédoncule et ailerons ressortissent au Néolithique final et au Campaniforme.

Une partie des pointes de flèches de la collection BVFig. 4 – Une partie des pointes de flèche de la collection Bruno Voituret

Parmi les objets de cette collection, on remarque une garniture de ceinture en bronze trouvée aux Fontenailles sur la commune de Bissy-la-Mâconnaise (fig. 5). C’est le même modèle que celui découvert à Gergy sur un site d’habitat mérovingien daté du viie siècle après J.-C. (cf. Alary J.-C. 1996 « Une aire d’occupation mérovingienne dans la vallée de la Saône à Gergy “les Paruisots” » dans 30 ans d’archéologie en Saône-et-Loire, p. 318-321). Par le passé, une tombe sous dalles avait été observée non loin de là, aux abords de l’école de Bissy au lieu-dit la Lue. Il est possible qu’une nécropole mérovingienne ait été implantée dans ce secteur qui a également livré en surface une agrafe à double crochet.

Garniture de ceinture mérovingienne découverte à Bissy-la-MâconnaiseFig. 5 – garniture de ceinture mérovingienne découverte à Bissy-la-Mâconnaise – Longueur : 4 cm

Prospection dans l’ouest du Tournugeois

L’hiver a été consacré à des vérifications relatives aux données LIDAR sur les hauteurs entre le col du Navois et Brancion. Au printemps et au début de l’été, de nombreuses sessions de prospections systématiques ont de nouveau été menées dans les vallées de la Grosne et du Grison, principalement dans les champs plantés en maïs ou en tournesol.

Prospections en forêt d’après les données LIDAR

La récente acquisition de données LIDAR auprès de la DREAL Bourgogne Franche-Comté nous a permis d’étudier en détail une grande partie de notre zone de recherche centrée sur le Tournugeois dans le cadre du PCR Ruralia initié par Pierre Nouvel de l’Université de Dijon. Le LIDAR permet notamment de détecter des microreliefs en zone boisée en livrant des vues du terrain débarrassé de sa couverture végétale.

Sur la commune de Vers, un site antique très bien conservé, partiellement repéré par le GRAT dans les années 1990, a été étudié (fig. 6). Il s’agit d’un habitat enserré dans un enclos trapézoïdal délimité par une levée de terre et de pierres atteignant encore 80 cm de hauteur en certains endroits pour une longueur tournant autour de 70 m. Un important pierrier correspond à un bâtiment détruit qui devrait encore conserver une partie de ses élévations. Des arases de murs et d’autres structures sont visibles en surface. À l‘extérieur de l’enclos, sur sa bordure orientale, quelques pierriers allongés trahissent l’emplacement d’autres constructions alors qu’une zone aplanie signale un espace de circulation qui a livré un grand nombre de tessons de céramique. Si certains éléments évoquent la période augustéenne, la plus grosse partie du mobilier documente une occupation attribuable au deuxième siècle de notre ère.

Plan obtenu par interprétation de données Lidar sur un site antique de VersFig. 6 – Interprétation des données LIDAR documentant un site antique implanté sur les hauteurs de Vers

À la Roche d’Aujoux, sur la commune de Mancey, un important site romain avait été repéré dans les années 1990. Plusieurs pierriers correspondent à autant de constructions antiques du IIe siècle. Les données LIDAR ont permis de préciser le plan du site, de mieux apprécier son emprise et de mettre en évidence de nombreux détails. Deux des bâtiments conservent encore des bases de murs en élévation avec dans un cas un parement extérieur monté en moellons réguliers.
Au lieu-dit la Rougie sur la commune de Royer, le LIDAR a dévoilé la présence d’une longue levée de terre délimitant une surface de plus de 9 hectares. Dans la partie nord de cette structure, une imposante éminence allongée d’une trentaine de mètres de longueur conserve encore une hauteur avoisinant les deux mètres. À l’intérieur de l’enclos de nombreux tertres de dimensions et de nature variées ont été repérés. L’un d’entre eux très allongé est composé de terre et recouvert de grandes dalles calcaires. D’autres tertres de même profil mais constitués uniquement de pierres avaient livré des vestiges néolithiques lors de leur repérage en 2001. Contre un bord extérieur de l’enclos, une fosse dépotoir livre des tessons de céramique du IIIe siècle.

Prospection en plaine

Plusieurs sites déjà connus ont été de nouveau échantillonnés. On peut notamment signaler un nucléus Levallois au lieu-dit l’Étang à Étrigny qui vient enrichir un corpus de quelques dizaines d’éléments lithiques recueillis sur ce secteur fréquenté au Paléolithique moyen.

Deux sites néolithiques inédits ont été repérés sur les communes de Chapaize au lieu-dit l’Étang et de Laives au lieu-dit les Brosses.

Une occupation de la Tène D2b sur le site antique et médiéval de la Tour Saint-Giraud à Étrigny a été formellement mise en évidence par la découverte de plusieurs tessons de poterie.

Les investigations conduites sur la commune de Lalheue n’ont donné aucun résultat alors que plus au sud, sur la commune de La Chapelle-de-Bragny, au lieu-dit Champ de Bragny, un modeste site du IIe siècle a été reconnu. Il vient s’ajouter à une petite liste de sites antiques qui démontre que le grand massif forestier du Bois du Grand Bragny était habité durant les deux premiers siècles de notre ère.

Plusieurs pierriers incluant des vestiges romains ont été repérés en forêt sur les coteaux calcaires au-dessus du bourg d’Étrigny en dehors de la zone couverte par les données LIDAR. Ils montrent que ce versant peu exploré au cours des dernières décennies était occupé durant la période romaine.

Sur la commune d’Étrigny, au lieu-dit la Verchère, un site des XVe et XVIe siècles a livré un abondant matériel céramique. Cette découverte est un témoin important de la réapparition de l’habitat isolé après cinq siècles d’encellulement.

DATATIONS RADIOCARBONE

Le crâne de La Truchère

Le crâne de La Truchère découvert en 1868 dans le lit de la Saône sous le tronc d’un chêne enfoncé dans les argiles bleues a bénéficié d’une analyse radiocarbone (fig. 7).

Lyon-18301 (GrM) – Âge 14C BP : 3800 + 30
Âge calibré : de 2343 à 2138 av. J.C.

Le crâne de La Truchère se place à l’extrême fin du Néolithique ou au tout début de l’âge du Bronze. Cette date est tout à fait compatible avec les données documentant les implantations humaines en Tournugeois à cette époque-là. Le crâne pourrait être contemporain de la tasse ansée extraite du lit de la Saône sur la même commune.

Crâne humain découvert en 1868 à La Truchère dans le lit de la SaôneFig. 7 – Le crâne trouvé à La Truchère

Le fémur humain du Four-de-la-Baume

Les fouilles conduites par Joseph Mazenot dans la grotte du Four-de-la-Baume en 1913 ont fourni plusieurs restes humains en position remaniée appartenant à au moins trois individus. Le crâne n’ayant pas été retrouvé, une datation 14C a porté sur un fémur (fig. 8).

Lyon-18305 (GrM) – Âge 14C BP : 3480 + 30
Âge calibré : de 1888 à 1696 av. J.C.

La date obtenue le place au Bronze ancien, période attestée dans la grotte par des tessons de poterie portant des décors.

Fémur humain trouvé dans la grotte du Four-de-la-Baume lors des fouilles de 1913Fig. 8 – Le fémur recueilli au Four-de-la-Baume

ANIMATIONS

En raison du contexte sanitaire, aucun atelier ni sortie archéologique n’ont connu de concrétisation et nous avons été contraints de repousser certaines des conférences programmées

Cette année encore les animations ont pâti du contexte sanitaire.

  • Vendredi 18 juin, à l’occasion des journées de l’archéologie, accueil de plusieurs classes à Lons-le-Saunier pour des ateliers sur la taille du silex en lien avec l’exposition « Néolithique, les villages de Chalain et Clairvaux, patrimoine de l’humanité ».
  • Dimanche 18 juillet, encadrement d’ateliers voûtes à Brancion à l’occasion de la fête médiévale.
  • Jeudi 21 octobre : encadrement de deux groupes de lycéens de Tournus recevant leurs correspondants espagnols le long d’un parcours consacré à la Saône et aux sites archéologiques riverains.

PUBLICATIONS

  • Blaising J.-M., 2021 – « Pratiques magiques d’ailleurs », Bulletin de la SAAST, tome CXIX, 2020, p. 47-86
  • Duriaud J., 2021 – « Pratiques magiques du Tournugeois », Bulletin de la SAAST, tome CXIX, 2020, p. 87-104
  • Duriaud J., 2021 – « Rapport d’activité 2020 du GRAT », Bulletin de la SAAST, tome CXIX, 2020, p. 105-112

RAPPORT D’OPÉRATION

  • Duriaud J., Compagnon G., Rué M., 2021 – Rapport de prospection-inventaire 2020, SRA Bourgogne, GRAT, 200 pages

COMMUNICATIONS

Le dimanche 3 octobre 2021, le GRAT a présenté deux communications au cours de la journée archéologique départementale organisée à Charolles par le Groupe Spéléo-Archéologique du Charolais :

  • Compagnon G. – Le catalogue de la céramique commune du Tournugeois, de la Tène D à l’an mil
  • Duriaud J. – Bilan de deux années de prospection-inventaire en Tournugeois

Un cycle de 4 conférences est venu marquer le centenaire de la mort de Jean Martin, créateur du musée Greuze et membre fondateur de la SAAST. La deuxième intervention centrée sur l’activité archéologique de Jean Martin a eu lieu le lundi 6 décembre au Palais de Justice de Tournus :

  • Duriaud J. – Jean Martin archéologue

FRANCK BARTHÉLÉMY 1963 – 2022

Franck, l'une des chevilles ouvrières du GRAT, construit une voûte en pierre sèche dans le cadre des Journées Européennes du PatrimoineFranck se faisait une joie à l’idée de fêter l’an prochain ses 40 années d’engagement auprès du GRAT. Le sort en a décidé autrement avec son décès brutal le 26 février 2022.

Qui aurait pensé, une semaine auparavant, qu’il participait pour la dernière fois à des ramassages de silex taillés !

40 années pendant lesquelles il a arpenté en tous sens les terres du Tournugeois à la recherche de témoins archéologiques.

En 1979, lorsque nous avons construit notre maison à la Croix Léonard sur une parcelle jouxtant celle de la famille Barthélémy, Franck n’était encore qu’adolescent. Curieux de nature, il avait commencé une collection de minéraux. En 1983, pour s’initier à l’archéologie, il venait demander s’il pouvait se joindre à l’équipe que j’animais. À l’époque, chaque année, un chantier de fouille réunissait durant l’été une dizaine de bénévoles pendant trois semaines. Depuis son entrée en lice, Franck a toujours fait partie de ceux-là. Il était résistant à la tâche et bien vite il a acquis une excellente technique de fouille et une connaissance affirmée des vestiges mis au jour. Ainsi, sans avoir fait d’études particulières, il possédait une bonne culture de chantier, disposition souvent bien préférable à des savoirs théoriques.

Fidèle adepte des prospections du samedi après-midi, il connaissait pour cette raison l’emplacement de tous les sites archéologiques du Tournugeois dont la découverte de quelques-uns est à mettre à son actif. On pouvait compter sur lui non seulement pour les opérations de terrain mais encore pour le traitement du mobilier collecté : tamisage, lavage, marquage.

Il était invariablement présent à l’annuelle journée archéologique de Saône-et-Loire et connaissait, du fait de cette assiduité, tous les archéologues du département.

Il n’hésitait pas non plus à venir renforcer l’encadrement des animations archéologiques créées en faveur du grand public. Pour les journées du Patrimoine en particulier, il était toujours là pour aider au bon déroulement des ateliers voûtes, dans l’aile nord du cloître de l’abbaye. Il maîtrisait parfaitement le montage de l’imposante maquette de voûte en plein cintre et prodiguait des conseils aux enfants ou adultes qui tentaient de construire des arcs de tout type.

L’archéologie du Tournugeois vient de perdre un précieux collaborateur.

Jean Duriaud