Exposition Jean Martin

L’archéologue

Le XIXe siècle rompt avec la tradition biblique de l’origine du monde et de l’homme en particulier. Les travaux de Darwin, et d’autres pères de la théorie de l’évolution, entraînent la diffusion du savoir et stimulent la recherche archéologique. Le Second empire encourage les recherches et les fouilles se multiplient. Dans notre région, le site de Chassey-le-Camp est mis au jour en 1864 et celui de Solutré en 1866. En Mâconnais et Tournugeois, les érudits se mobilisent. Jean Martin sera de la partie.

Les tumulus de Lacrost

En 1879, dans le droit fil des fouilles menées à Igé, la SAAST finance l’exploration de deux tumulus de Lacrost et charge Jean Martin de superviser les travaux dans l’objectif de collecter de « beaux objets » afin d’enrichir les collections du musée.
Deux des plus gros tertres sont choisis et quatre hommes sont embauchés pour effectuer les fouilles. Au centre du tertre sud, ils trouveront un vase noir, fermé d’un couvercle et contenant des ossements humains brûlés. Il s’agit d’une incinération venant attester que le tertre est bien un tumulus. À la fin de la fouille, le tertre nord livrera in extremis deux vases imbriqués l’un dans l’autre mais sans trace d’ossements.
Cette campagne a fait l’objet d’un compte-rendu détaillé dans le bulletin de la SAAST de 1879.

Les deux tumulus de Lacrost fouillés par Jean Martin

Les tumulus nord et sud de Lacrost

Les vases exhumés du tertre sud (à gauche)
et ceux trouvés dans le tertre nord (à droite) ;
dessins de Jean Duriaud

Le Groupe de Recherche Archéologique de Tournus (GRAT) a repris les investigations sur la nécropole de Lacrost en 1986 alors qu’une partie de la prairie venait de subir un labour pour être plantée en maïs. La charrue avait ramené à la surface des pierres sur de nombreux tertres et deux d’entre eux plus particulièrement menacés ont fait l’objet de fouilles de sauvetage. Un repérage des tumulus de la nécropole appuyé sur des photographies aériennes a porté leur nombre à 36. Ces travaux ont confirmé l’attribution de ces tombes à la fin de l’âge du Bronze telle que proposée par Jean Martin, tout en révélant des remaniements imputables aux Gaulois et aux Romains.

Des nécropoles mérovingiennes

Suite aux ravages du phylloxéra (à partir de 1875), les vignerons décidés à replanter devaient miner les terrains préalablement à la mise en place des greffons. Les secteurs présentant la meilleure exposition sont choisis en priorité. C’est justement sur ces versants orientés à l’est que les Mérovingiens implantaient leurs nécropoles.
Des milliers de tombes sont éventrées et Jean Martin tente de convaincre les vignerons de mettre de côté les objets trouvés et de les confier au musée. Des vestiges du plus grand intérêt sont ainsi récupérés à Mancey, Farges et Tournus (à l’Ormeteau et au Roy Guillaume). La synthèse de ces découvertes sera publiée dans les Annales de l’Académie de Mâcon en 1897.
Malgré un foisonnement de détails, les localisations des découvertes restent imprécises et il est parfois difficile aujourd’hui de situer l’emplacement des nécropoles citées. Le GRAT a néanmoins pu en identifier quelques-unes à l’occasion de découvertes fortuites à Tournus, La Chapelle-sous-Brancion et Chardonnay.

Notes de Jean Martin sur les tombes de Clos Mâcon à Farges

Note de Jean Martin sur les tombes du Clos de Mâcon à Farges

Plaque-boucle trouvée dans une tombe mérovingienne du Roy Guillaume

Plaque-boucle trouvée dans une tombe mérovingienne
du Roy Guillaume (longueur 420 mm)

La villa de Belné

Toujours suite au phylloxéra, Paul Marle, ingénieur en retraite, décide de miner le terrain qu’il possède en Belné (à Tournus) pour y replanter de la vigne. Sa pioche bute sur des murs arasés qu’il entreprend de dégager en suivant les conseils avisés de Jean Martin et dresse les plans des murs mis au jour : il s’agit de l’habitation du maître de la villa implantée en ces lieux (la pars urbana).

Télesphore, génie de la convalescence issu de la villa de Belné

Télesphore, génie de la convalescence,
issu de la
villa de Belné (hauteur 108 mm)

Paul Marle léguera au musée sa collection d’objets découverts sur le site.

L’étude des monnaies recueillies témoigne d’une occupation antique des lieux du Ier au IVe siècle.

En 1968, la fouille des bâtiments découverts sur le tracé de l’autoroute A6 à la hauteur de la villa de Belné confirmera l’importance du site et sera à l’origine de la création du GRAT. Plusieurs diagnostics archéologiques réalisés par l’INRAP au cours de ces dernières années sont venus souligner l’exactitude des plans relevés par Paul Marle.

Plan de la villa de Belné dressé par Paul Marle

Plan de la villa de Belné dressé par Paul Marle

La grotte du Four-de-la-Baume à Brancion

La grotte du Four-de-la-Baume à Brancion, fouillée par Joseph Mazenot sous la direction de Jean Martin
La grotte du Four-de-la-Baume à Brancion au début du XXe siècle

En 1913, Joseph Mazenot, instituteur à Royer, soumet à Jean Martin des silex et des tessons de poteries provenant de la grotte du Four-de-la-Baume à Brancion (actuellement hameau de la commune de Martailly-lès-Brancion). Jean Martin encourage alors Joseph Mazenot à poursuivre ses investigations dans le cadre d’une fouille financée par la SAAST (à condition que le mobilier découvert revienne au musée de Tournus).

La fouille débute le 6 avril 1913 et un échange très régulier de courriers entre les deux hommes permet de suivre le chantier quasiment au jour le jour. Suivant les directives de Jean Martin, les décapages se font par passes de 15 cm d’épaisseur en partant du fond de la cavité et les sédiments sont tamisés.

Après des débuts prometteurs (et notamment la mise au jour d’un crâne humain très bien conservé), les trouvailles se font moins intéressantes. La découverte inattendue d’une prolongation de la grotte relancera l’intérêt des fouilles : l’étroit couloir, encombré de gros blocs effondrés de la voûte, livrera de nombreux ossements d’animaux de la dernière période glaciaire, des silex taillés du Paléolithique supérieur et deux mandibules humaines de vieillards.
Ces travaux ont éveillé l’intérêt de Lucien Mayet, anthropologue à l’université de Lyon, qui propose à Jean Martin d’étudier la faune grâce au matériel scientifique de son laboratoire. Jean Martin accepte de mauvaise grâce, en exigeant que l’intégralité du mobilier soit restituée au musée.

À l’issue de la fouille, un différend oppose les deux hommes à propos de la publication des résultats, Jean Martin ayant fait paraître un court article rendant compte des investigations sans en référer au chercheur lyonnais. Ce dernier publiera à la fin de l’année 1913 avec l’aide de Joseph Mazenot une monographie richement illustrée de la fouille.

Bien que cet ouvrage s’en tienne essentiellement aux vestiges préhistoriques exhumés (les autres périodes ne sont qu’évoquées), il n’en constitue pas moins un témoignage irremplaçable dans la mesure où la majeure partie du mobilier mis au jour et déposé au musée Greuze a disparu.

Le GRAT a récupéré des restes de faune dans les déblais de fouilles jonchant la pente proche de l’entrée de la grotte. Une datation 14C du fémur humain recueilli au cours des travaux est venue confirmer une fréquentation de l’abri au début de l’âge du Bronze.

mâchoire de hyène - Paléolithique supérieur (Four-de-la-Baume) - L. env. 20 cm

crâne humain (Four-de-la-Baume)

Mandibule de hyène et crâne issus des fouilles du Four-de-la-Baume

Tournus : le site abbatial

Au début du XXe siècle, Jean Martin est le premier érudit à s’intéresser véritablement à l’ensemble abbatial Saint-Philibert et à lui trouver un intérêt archéologique. Il faut imaginer qu’à cette époque, l’abbaye n’avait pas le même visage qu’aujourd’hui : des maisons occupaient le cloître, de nombreuses ouvertures étaient masquées ou enduites et les espaces étaient souvent cloisonnés.
Cette passion pour l’abbaye est peut-être née dès 1845, date à laquelle une vaste campagne de restauration dirigée par Questel a débuté. Les travaux se sont prolongés sur plusieurs années et immanquablement, le jeune Jean Martin a vu les ouvriers au travail mettant tout leur art au sauvetage du monument emblématique de Tournus (la famille Martin était très pratiquante et se rendait régulièrement aux offices à Saint-Philibert)

Les fouilles sur le site abbatial

À partir de 1898, Jean Martin va profiter de travaux conduits sur le site abbatial pour enregistrer de précieuses données susceptibles d’éclairer l’histoire de l’abbaye. Plusieurs sondages sont réalisés :

Le cloître à l’époque de Jean Martin
Le cloître à l’époque de Jean Martin
  • en 1898, dans la galerie nord du cloître : découverte de « cinq sarcophages en grès, tous ouverts et sans couvercle ; un seul était entier »
  • en 1899, dans le « locutorium » : découverte de deux autres sarcophages sous le mur nord et « le long du mur opposé », « ossements gisant pêle-mêle » et « tombeau formé de dalles taillées à gros éclats et dressées sur champ (…) recouvert d’un double rang de dalles minces de 3 à 4 cent. d’épaisseur ».
  • toujours en 1899, le chantier de creusement des égouts mettra au jour des sépultures le long du narthex, devant la porte du transept nord et place des Arts, en face de la petite porte du logis abbatial.

Plusieurs sarcophages ainsi dégagés sont aujourd’hui exposés dans la cour du cloître.

En 1910, d’autres travaux sont engagés autour de l’abside de l’église pour mettre le terrain de niveau avec le sol de la crypte. Ils révèlent la présence de nouvelles sépultures et notamment de sarcophages auxquels Jean Martin semble accorder toute son attention au détriment des sépultures « plus simples ». Toujours lors de ces travaux, un caveau funéraire est mis au jour « contre les fondations du mur nord de la 2ème chapelle ». Malheureusement, cette localisation vague ne permet pas de le situer précisément malgré le soin apporté à sa description.

L’un des sarcophages mis au jour lors de travaux sur le site abbatial en 1898 et 1899

L’un des sarcophages mis au jour

Plan et coupe du caveau funéraire découvert dans l'une des chapelles rayonnantes de l'église abbatiale Saint-Philibert de Tournus

Plan et coupe du caveau funéraire

Un des sarcophages se trouve toujours entre deux chapelles rayonnantes.

En dehors des sépultures, Jean Martin relève aussi la présence de plusieurs maçonneries arasées.

L’étude des pierres tombales figurées

Entre 1898 et 1910, Jean Martin étudie les pierres tombales de l’église abbatiale et publie une série d’articles remarquablement illustrés qui mettent en lumière leur richesse et leur originalité.

Pierre tombale de Jean de Toulongeon dans l'église abbatiale Saint-Philibert (dessin de Jean Martin) Pierre tombale de Bernard de Traves dans l'église abbatiale Saint-Philibert (dessin de Jean Martin)
Pierres tombales de Jean de Toulongeon (à gauche)
et de Bernard de Traves (à droite),
dessins de Jean Martin

Des publications précieuses pour la connaissance du site abbatial

Jean Martin a écrit plusieurs publications sur l’abbaye Saint-Philibert :

  • « Découvertes archéologiques dans les dépendances de l’église de Tournus », Annales de l’Académie de Mâcon, tome V, 1900
  • « Étude rétrospective sur les anciens bâtiments de l’abbaye de Tournus », Annales de l’Académie de Mâcon, tome V, 1900
  • Pierres tombales de l’église de Tournus, 1901
  • « Nouvelles découvertes archéologiques à Tournus (1910) », Annales de l’Académie de Mâcon, tome XVI, 1911

Le legs de Jean Martin à l’archéologie du site abbatial de Tournus

L’apport de Jean Martin à la connaissance archéologique du site abbatial est considérable même si sa méthodologie, au regard des critères contemporains, peut parfois être sujette à caution.

Il a fait des découvertes archéologiques importantes et présentées d’une manière, à la fois assez « moderne » avec descriptif succinct et dessin de ce qu’on appellerait aujourd’hui une « stratigraphie » et, à la fois révélatrice des préjugés ou biais méthodologiques de l’époque, par exemple la lecture littérale de fragments de textes, conduisant à interpréter le premier niveau de brûlé venu comme trace évidente du passage des Hongrois au Xe siècle.

Plusieurs de ses hypothèses ont été confirmées ou éclairées depuis la fin du XXe siècle par une archéologie utilisant des méthodes plus récentes.

En effet, c’est sur la base d’une note de Jean Martin dans son article de 1900 que la cuisine de l’abbaye a été fouillée par Benjamin Saint-Jean Vitus entre 1992 et 1994. Jean Martin signalait l’existence de l’ancienne cuisine adossée au réfectoire, sans en soupçonner ni l’origine, ni la forme, ni le fonctionnement, ni l’intérêt spécifique.

Pareillement, les différents sondages et relevés d’élévations effectués de 1991 à 2021 dans le carré claustral et alentour ont éclairé, explicité ou complété un certain nombre de ses observations ou interprétations.

Et même si certaines informations sur ses découvertes se sont avérées erronées (par exemple, l’interprétation, pourtant argumentée, du pseudo « chauffoir » comme locutorium, c’est-à-dire parloir, servant également de salle des aumônes), son influence est indéniable sur la perception de l’abbaye qu’en ont les Tournusiens aujourd’hui encore. En effet, l’ouvrage d’Henri Curé tout comme les dessins de restitution réalisés par Jean Morette sous la houlette de Gabriel Jeanton s’appuient sur les travaux de Jean Martin et ont largement concouru à les populariser.

Dessin de restitution réalisé par Jean Morette sous la houlette de Gabriel Jeanton d’après les travaux de Jean Martin

Dessin de restitution réalisé par Jean Morette sous la houlette de Gabriel Jeanton d’après les travaux de Jean Martin

ILLUSTRATIONS

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